Discours historique (hi hi…) de ma collation des grades, mai 2006

Posted on Mar 13, 2019

« Ce n’est pas grave d’avoir peur, ce n’est pas grave d’être fatigué, ce n’est pas grave de fantasmer qu’on claque la porte et qu’on abandonne tout. En autant qu’on continue d’écrire. »

En réfléchissant sur le sentiment de l’imposteur et le courage nécessaire au métier que je fais, je suis retombée sur le texte que j’ai écrit, il y a longtemps, pour la collation des grades de ma maîtrise à l’Université de Montréal. J’ai été surprise de voir comment c’était toujours pertinent… et comment je dois encore composer avec cette peur là.

Voici donc le contenu de mon discours dans son intégralité…

Faire une maîtrise est une chose terrifiante. Oh, quand on commence on est tous confiants et plein de grandes ambitions. On va révolutionner la science, changer le monde, gagner le Nobel ou le Pulitzer. Après tout, on est bardés de bonnes notes, de passion et de lettres de recommendation. Avec ça, qu’est-ce qui va nous arrêter?

Mais tranquillement, on se met à accumuler de petits doutes. D’abord, il y a le cours où on semble avoir tout oublié de notre bac. Le professeur qui remet en question ce qu’on avait toujours pris pour acquis. Le premier article que l’on lit et auquel on ne comprend pas un traître mot. Et là, la peur s’installe…

Je me souviendrai toujours du jour où je me suis installée pour commencer la définition de mon projet de maîtrise. J’avais mes piles d’articles bien annotés, mes résultats préliminaires, mon beau portable tout neuf… Et là, la terreur m’a prise: incapable d’écrire une ligne. Tout ce que j’arrivais à voir, c’était mon futur jury – un jury bien imaginaire d’ailleurs, avec des vieux monsieurs austères portant des toges noires et des perruques poussièreuses. Je voyais déjà le président se lever et me dire « Vous osez appeler ça de la science, Mademoiselle Proulx! Vous osez aspirer à être des nôtres! Oubliez ça! Vous n’êtes pas assez intelligente, pas assez savante, pas assez disciplinée. Reprenez votre torchon et qu’on ne vous voie plus jamais remettre les pieds à l’Université de Montréal! »

C’était complètement ridicule comme crainte, mais j’étais néanmoins paralysée. Tout d’un coup, l’enjeu ce n’était plus une bonne note à un examen. Il n’y avait plus de bonne réponse non plus. Non, ce qui serait évalué cette fois, c’était directement moi, ou en tout cas le meilleur de ce que je pourrais produire pendant les deux prochaines années… Pendant trois jours, j’ai été incapable d’écrire.

Et là, j’aimerais dire que Newton ou Galilée m’est apparu en rêve pour me dire « go go go, t’es capable! », et que j’ai tout de suite repris courage. Mais ce n’est pas vrai. J’ai continué à avoir peur. J’ai simplement appris à travailler malgré celà. Parce que la bonne nouvelle dans tout ça, c’est que ce n’est pas grave d’avoir peur, ce n’est pas grave d’être fatigué, ce n’est pas grave de fantasmer qu’on claque la porte et qu’on abandonne tout. En autant qu’on continue d’écrire.

Je ne pense pas me tromper en affirmant que le diplôme qu’on a entre les mains aujourd’hui, on l’a tous acquis à force de sueur et de questionnements. Comme le disait sagement mon copain l’an dernier, « Tu sais Catherine, si c’était facile de faire une maîtrise, tout le monde en ferait une. »

Mais je ne voudrais pas parler seulement de la douleur par laquelle nous sommes passés, même si c’est probablement ce qui est le plus frais à notre mémoire. La maîtrise, c’est aussi le luxe incroyable de pouvoir travailler pendant deux ans sur un sujet pointu et d’aller jusqu’au bout de nos passions. C’est aussi une collection de moments incomparables, comme celui où l’on obtient notre premier résultat prometteur et qu’on se met à danser. Ou celui où on ouvre le courrier qui nous annonce la publication de notre premier article. C’est dans des moments comme ceux là qu’on réalise que ça a valu la peine de manger des nouilles Ramen pendant deux ans.

Et même si le chemin pour arriver jusqu’ici nous a paru parfois bien solitaire, nous avons certainement été bien entourés. D’abord, il y a eu tous les enseignants qui nous ont guidés jusqu’ici, qui nous ont inspiré, stimulé notre curiosité et donné le goût de l’effort. Parmi ceux là, il y a eu une directrice, un directeur, qui pendant deux ans a été là pour nous, sans lésiner sur les conseils ou l’encre rouge. Pour leur enthousiasme, leur savoir et leur support inébranlable, on ne les remerciera jamais assez.

Un immense merci aussi à nos proches qui nous ont vaillamment supportés quand on ne se supportait plus nous mêmes. Je pense à tous les collègues qui ont été là pour me donner des conseils ou m’offrir un verre après une dure semaine, aux colocs qui me faisaient à souper quand je rentrais tard le soir, aux amis qui se sont tapés les interminables révisions de mon mémoire, à mes parents et mes proches qui ont toujours eu confiance en moi, même quand ils ne comprenaient rien à ce que je faisais. Ce diplôme, c’est aussi un peu à eux qu’il est décerné aujourd’hui.

Et c’est comme ça qu’à force d’efforts et de tapes dans le dos, on finit par se retrouver avec nos trois copies de mémoire dans leurs couvertures bourgognes, et on se rend compte qu’on a trouvé le courage nécessaire pour se rendre jusqu’à la fin.


Si vous ne retenez qu’une seule chose de votre maîtrise, j’espère que ce sera celle-ci: ce n’est pas parce qu’on a peur qu’on ne peut pas faire la chose juste. Rappelez-vous toujours de ce courage qui vous a amené jusqu’ici. Le courage de vos convictions, d’abord. Celui de ne pas céder lorsque votre éthique et votre rigueur intellectuelle sont mis à l’épreuve. Le courage de continuer à chercher la vérité même quand ça semble impossible et que vous êtes le seul à y croire encore. Et finalement, peut-être le plus difficile, le courage d’admettre vos erreurs et de recommencer du début lorsqu’il le faut.


Comme le disait l’écrivain Alphonse Allais: « où serait le mérite si le héros n’avait jamais peur? » Et bien nous avons eu peur, nous avons douté, mais comme nous sommes ici aujourd’hui pour recevoir ce diplôme, je peux affirmer que nous sommes tous aussi un peu héroïques, et que nous méritons de la célébrer grandement cette victoire.


Félicitations!