Femmes, technologie et sentiment d’imposteur

Posted on Mar 18, 2019

Quand, dans le cadre d’une entrevue récente, on m’a demandé ce que je conseillerais à une jeune fille qui envisagerait une carrière en technologie, j’ai répondu « ça va lui prendre beaucoup de courage ».

Quand je discute avec d’autres femmes en technologie, je me rends compte que le sentiment d’imposteur est vraiment universel. Même celles qui ont des cv à faire pâlir n’importe qui d’envie gardent, au fond de leur tête, une petite voix qui leur dit « un jour quelqu’un va se rendre compte qu’en fait, tu es nulle et que tout ça c’est un mirage ». (Bizarrement, les gens plus arrogants que compétents ne m’ont jamais semblé avoir cette petite voix là en eux… Enfin.)

Même si les hommes seraient, théoriquement, aussi souvent atteints du syndrome de l’imposteur (source), les femmes en technologie ont certains obstacles supplémentaires, et principalement celui de se dire « Ils m’ont choisie parce que j’étais une femme ».

L’effet pervers des quotas et autres programmes destinés à améliorer la diversité au sein des milieux technologiques, c’est que la femme qui est sélectionnée va toujours se demander « est-ce pour ça que j’ai été choisie? »…

Ma solution à ça? D’abord, réaliser que jamais un homme blanc hétérosexuel ne se questionne sur « aurais-je été choisi si j’avais été [une femme/gai/trans/d’une autre couleur de peau]? ». Pourtant, on sait qu’il existe de véritables biais, conscients ou inconscients, qui leur rend la vie plus facile.

Par exemple, selon une étude de 2012 de la commission des droits de la personne, « à caractéristiques et à compétences égales, un candidat au nom de famille québécois a au moins 60% plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne qui a un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine». (http://www.cdpdj.qc.ca/fr/droits-de-la-personne/droits-pour-tous/Pages/integration.aspx) On peut s’en désoler et tenter de changer l’état des choses, mais je n’ai encore jamais vu un collègue masculin remettre sa propre compétence en question pour ça.

Ensuite, réaliser que la plupart des programmes visant la diversité vont tenter d’augmenter le nombre de personnes considérées à l’entrée, mais ne font aucun passe-droit aux femmes qui ne sont pas compétentes. Par exemple, le Manifeste des Femmes en Tech répertorie des conférencières potentielles pour les organisateurs d’événements technologiques. L’objectif est simplement de donner de la visibilité à des femmes qui, autrement, ne seraient probablement pas découvertes parce que les organisateurs recrutent toujours dans la même vieille « talle » de conférenciers connus. Mais la visibilité n’oblige personne à les choisir. Si on les invite, c’est que leur CV est assez solide pour le justifier: pas un organisateur de conférence ne veut une cruche sur un panel, même si c’est une cruche qui « paraît bien pour la diversité ».

De la même manière, quand on me disait, lors de mes études « ouais, mais c’est une bourse de filles » (J’ai notamment eu la bourse ExcelleScience du Ministère de l’Éducation pour les femmes étudiant dans des métiers traditionnellement masculins), je me suis forcée à me rappeler intérieurement « ok, mais j’ai aussi raflé une bonne part des bourses ‘pas de filles’. ». Je suis reconnaissante de cette bourse-là qui m’a donné un bon coup de pouce pour aller à la maîtrise, mais si je n’avais pas été compétente, ce n’est pas une bourse qui aurait changé quoi que ce soit à mon cheminement de carrière.

Finalement, c’est plate à dire, mais ma solution consiste à toujours tenter de dépasser les attentes. Peut-être que j’ai été invitée en partie parce que j’étais une femme? Qu’à cela ne tienne – je serai la conférencière la mieux préparée de la gang et je vais m’arranger pour offrir, à chaque fois, la meilleure performance possible. Oui, c’est injuste. Oui, ça veut dire que les femmes ont souvent la marche plus haute pour prouver leur compétence.

Mais raison de plus pour faire taire votre « belle-mère intérieure » quand elle se met à remettre en doute vos talents et votre place dans le monde de la technologie.